Collectif national de résistance à Base élèves…

contre tous les fichiers scolaires

Qu’a réellement dit la France au Comité des droits de l’enfant de l’ONU ?

Posted by retraitbaseeleves sur 23 octobre 2016

Jusqu’à présent nous ne disposions d’aucun enregistrement des réponses de la France au Comité des droits de l’enfant de l’ONU (CDE), lors de son audition à Genève au cours de la 71ème session organisée par CRC (Child Right Connect) qui s’est déroulée les 13 et 14 janvier 2016 dans le Palais des Nations à Genève, Chambre XVI.

En faisant une demande précise au CDE tout récemment, nous avons découvert que ces enregistrements sont mis à disposition du public sur le site de l’ONU, d’abord sous forme de « Summary Records » (ici pour l’audience du 13 janvier, là pour celle du 14) — des propos résumés mais non retranscrits exactement — puis aussi en intégralité, sous forme de fichiers audio accessibles sur cette plateforme.

Contrairement à ce que nous avions publié jusqu’à ce jour concernant le livret scolaire numérique, la France n’a jamais affirmé si clairement que ce livret ne poursuivait pas les mêmes visées que Base élèves, s’agissant de « données qui ne sont pas personnelles mais uniquement relatives à la maîtrise des compétences ».

Mais les réponses de la France aux questions du Comité ne sont pas plus rassurantes, voire même pires, comme chacun pourra le constater en lisant les retranscriptions de ces enregistrements, que nous vous proposons aujourd’hui de découvrir ci-dessous.


Question de H. AYOUBI IDRISSI (membre du Comité, rapporteur) du 13 janvier 2016 à 17:33:38 (en français) posée à la France, alors que le Comité commençait à aborder des questions relatives aux violences et aux abus sexuels :

 » […] je souhaiterais rajouter à la liste des questions que vous aurez à traiter, une inquiétude que j’avais omis.
C’est celle de la protection de la vie privée.
Je vous remercie pour les réponses que vous avez données quant à la base de données élèves mais certaines inquiétudes demeurent :
– est-ce que les parents savent qu’ils peuvent s’opposer ?
– est-ce que les enfants savent qu’ils peuvent s’opposer ?
– et est-ce qu’ils ont cette latitude de s’opposer, ou d’avoir accès, de rectifier ?
– et si vous pouvez nous donner une idée sur l’état de la jurisprudence, parce que vous nous avez dit que des affaires sont pendantes devant les juridictions dans ce sens.

Quand aux violences proprement dites… bon l’atteinte à la vie privée c’est également une sorte de violence… j’en reviens aux violences et aux abus sexuels […] »

Réponse du 14 janvier 2016 de la France à la question du Comité du 13 janvier :

1ère intervention de Mme LAURIN (ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Office des Nations Unies à Genève), enregistrement du 14 janvier 2016 à 11:10:46 (en français) :

« Dernière question qui nous avait été posée hier […] sur la protection à la vie privée concernant les bases de données en milieu scolaire.
Plusieurs questions sur ce point, avec des inquiétudes qui ont été exprimées par vous, Mme la Rapporteur, et sur l’information des parents et des enfants sur le droit notamment à s’opposer à l’inscription dans les bases de données et sur les éventuels recours qui ont été exercés.
Donc je vais donner la parole à Mme Pétreault de l’Éducation Nationale dans un premier temps, et je ferai un tout petit point de précision sur l’aspect juridique. « 

Intervention de Mme PÉTREAULT (représentant le MEN, elle est « sous-directrice de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives »), enregistrement du 14 janvier 2016 à 11:11:23 (en français) :

« Alors effectivement, le ministère de l’éducation nationale a besoin d’avoir des informations sur les données des familles, à la fois pour des questions de suivi des effectifs et également sur la gestion au sein des établissements.
Alors, la question portait plus particulièrement sur la possibilité pour les familles d’être informées sur leurs droits.
Et bien, ces éléments sont indiqués à la fois dans le document qui est donné aux familles en début d’année dans le premier degré notamment, où il est indiqué à la fois la possibilité de ne pas souhaiter voir sa situation comprise, et puis la possibilité aussi de pouvoir rectifier certains éléments.
A ce jour, il y a une dizaine de procédures à la connaissance du ministère de l’éducation nationale. « 

2de intervention de Mme LAURIN, enregistrement du 14 janvier 2016 à 11:12:23 (en français) :

« Alors en effet, sur le point des recours et du contrôle des juridictions administratives sur ce point, les développements sont relativement récents.
Très récemment, le 18 novembre 2015, le Conseil d’État, donc juridiction administrative suprême française, a rendu le premier arrêt sur cette question.
Il a contrôlé de manière effective le refus qui a été opposé aux parents de ne pas voir inscrit les données personnelles dans la base de données scolaire.
A l’occasion de ce contrôle, le Conseil d’État a en l’espèce,après un contrôle effectif, jugé que le refus qui a été opposé aux parents à leur demande ne devait pas porter atteinte à la vie privée et à l’intérêt supérieur de l’enfant, en visant dès lors, la Convention des droits de l’enfant et l’article 3 paragraphe 1.
Avant le Conseil d’État d’ors et déjà, et avant ce premier arrêt, il y avait déjà eu quelques recours qui remontent à quelques années, aux environs de 2012, 2013, 2014, trois arrêts de Cour d’Appel ont été rendus, cinq jugements de tribunaux administratifs, qui démontrent dès lors qu’il existe un réel contrôle en ce domaine, notamment procédural.
Ainsi, deux décisions de refus qui ont été opposées à des parents ont été annulées, l’une en raison de l’insuffisance de la motivation qui a été donnée aux parents, étant précisé que les juridictions françaises ont spécifiquement indiqué que ces parents doivent avoir une précision claire des raisons de rejet de leurs demandes, et l’autre décision […] d’accueil du recours de la décision administrative, c’est en raison de l’incompétence de l’auteur de la décision.
En effet, la loi prévoit que l’autorité administrative qui doit se prononcer, elle seule doit se prononcer sur ce point.
Donc si ce n’est pas la bonne autorité administrative, c’est une raison d’accepter le recours exercé par les parents.
Donc dans ces deux cas, il a été dès lors enjoint à l’administration de réexaminer la demande qui a été formulée par les parents.
Dès lors, on voit bien qu’il y a un contrôle tout à fait effectif et un recours effectif devant les juridictions nationales, des parents qui souhaitent voir effacer les données personnelles. »

Question supplémentaire de H. AYOUBI IDRISSI, enregistrement du 14 janvier 2016 à 11:14:54 (en français) :

« Je profite de vos réponses pour justement demander quelques informations supplémentaires sur la mise en place actuellement depuis la rentrée scolaire, du livret numérique de l’élève :
– est-ce qu’il a les mêmes visées que la base élèves ?
– quelles sont les mesures de protection avec cette base, c’est à dire tout ce qui a trait à la protection de la vie privée de l’enfant ? »

Réponse de Mme PÉTREAULT, enregistrement du 14 janvier 2016 à 11:15:24 (en français) :

« Non, le livret numérique n’a pas du tout le même objectif. Le livret numérique permet de voir, de suivre la scolarité de l’élève sur la maîtrise des compétences par rapport au socle commun. Mais ce n’est pas du tout un livret avec des données personnelles, c’est simplement sur la maîtrise des compétences. » […]


Il était important pour le CNRBE de rétablir l’intégrité des propos de la responsable du MEN. Dans le document de synthèse déjà cité dans les 2 documents PDF téléchargeables en début d’article, Mme Pétreault est citée en ces termes, à propos du droit d’opposition des parents dans BE1D :

26. Mme Pétreault (France) explique que les données sur la situation familiale des élèves qui sont collectées par les établissements scolaires servent uniquement à la gestion des effectifs. Les parents sont libres de refuser l’inscription de ces données ou de les rectifier. Une dizaine de procédures en ce sens ont été engagées auprès des services de l’Éducation nationale.

Et elle est enfin citée en ces termes, à propos du livret scolaire numérique :

29. Mme Pétreault (France) répond que le livret numérique ne contient aucune donnée personnelle et sert uniquement au suivi pédagogique de l’enfant.

Cela revient finalement au même, sur le fond : le MEN se permet d’affirmer qu’un fichier scolaire comme le LSUN (cf notre dernier communiqué comme celui de SUD Éducation du 8 octobre), rattaché forcément à l’identité d’un élève et contenant des données sur son parcours, son assiduité, ses compétences acquises (et donc ses « non-compétences » à tel stade de sa scolarité) et enfin sa prise en charge éventuelle dans des dispositifs médico-éducatifs, « n’est pas du tout un livret avec des données personnelles ».

Cela n’aura enfin échappé à personne que le MEN, en interprète zélé de la novlangue, tente encore d’édulcorer son projet en nommant « application » (qui est synonyme d’un… logiciel !) ce livret scolaire alors qu’il s’agit bien d’un fichier nominatif ou encore un « système de traitement automatisé de données à caractère personnel ».

Mentionnons enfin que la CNIL, comme à son habitude et d’après les nouvelles règles qui s’imposent à elle depuis la réforme de 2004, n’a pas eu à émettre le moindre avis motivé sur le LSUN, sous prétexte qu’il ne contiendrait aucune donnée « sensible » — seul un contrôle a posteriori permettrait à la CNIL de modifier son jugement en constatant, par exemple, que la mention de prises en charge médico-éducatives est assez « sensible » pour mettre le ministère à l’amende…

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