Collectif national de résistance à Base élèves…

contre tous les fichiers scolaires

Evaluations CE1 et CM2: faute professionnelle pour M. le Ministre ?

Posted by retraitbaseeleves sur 25 Mai 2009

Tribune de Claude Didier (PAS 38, UDAS).
Directeur d’école primaire dans l’Isère,
signataire de l’Appel contre Base élèves
et membre du CIRBE
, le relais isérois du CNRBE. 

Essayons de jouer l’avocat du diable pour tenter de tirer le meilleur profit des évaluations nationales. Admettons pour commencer que les évaluations nationales soient indispensables pour tous les élèves de CE1 et de CM2 tous les ans, alors qu’un échantillon représentatif permettrait d’obtenir des données tout aussi fiables. Admettons ensuite que ces évaluations se cantonnent aux seuls apprentissages du français et des mathématiques, alors que de nombreux élèves trouvent du sens et de la motivation dans ces matières grâce à la transversalité des apprentissages à l’école et à la variété des activités pratiquées. Admettons encore que ces évaluations se concentrent sur des exercices techniques écrits, au détriment des capacités de créativité, d’expression et de communication, de sens critique. Admettons aussi que ces évaluations imposent une unique situation de contrôle, l’élève seul face à sa copie, au détriment de l’oral d’une part, des dynamiques de coopération et de recherche collective d’autre part. Comme si aider chaque enfant à se situer imposait forcément une ambiance d’examen. De mise en examen. Ces sacrifices admis, lourd postulat, essayons d’analyser objectivement les contenus et les méthodes utilisés.

Les évaluations sont concentrées sur une semaine de classe, imposant donc à tous les élèves concernés (surtout à l’âge du CE1) un rythme de contrôles intensif inhabituel. Le temps pour chaque exercice est limité, très limité même. On ne mesure donc pas la réussite des élèves mais leur adaptation à des exercices artificiels, en dehors du contexte d’apprentissage, en un temps – court – donné. Un élève ayant compris mais lent à l’écrit ou désorienté par la situation de contrôle solennel (on en a tous dans nos classes) n’obtiendra pas les résultats attendus. Comme si cette contre-performance allait l’aider à devenir plus rapide.

Le cahier de l’élève est d’une tristesse à toute épreuve. Si le souci esthétique a peu d’importance en soi, le danger est réel : il provient du cadre imposé aux élèves. Déjà potentiellement refroidis par la pression installée autour de ces évaluations, les élèves qui ont besoin d’un cadre rassurant et stimulant, avec des illustrations, une mise en page agréable, ne le trouveront absolument pas. Quasiment tous les exercices souffrent de cette absence, délibérée ou non, d’une ambiance chaleureuse offrant des repères. Concrètement, ce sont les élèves faibles qui souffrent de cette présentation inadaptée. Exemples les plus significatifs : les exercices de lecture et les problèmes, qui « ne parlent pas ». Aucun repère iconographique en lecture pour un texte difficile d’une bonne demi-page. Pas davantage de repères dans la mise en page, complètement plate. Dessiner les billets et pièces du problème d’argent, un effort insurmontable pour le ministère ?

Comme si cela ne suffisait pas, quasiment tous les exercices démarrent par un niveau trop élevé pour les élèves en difficultés. Etre lancé et avoir confiance grâce à une première situation plus accessible est un luxe que le ministère ne peut concevoir, ne peut offrir à l’ensemble des élèves. Place immédiatement à l’exercice type, qui mesure ce que doit savoir un élève en fin de cycle. Tant pis si l’on ne mesure rien à cause de ce défaut majeur. Tant pis si les élèves en difficulté ont tout faux alors qu’ils ont compris l’exercice mais sont déroutés par le degré de difficulté initial. Exemples : les exercices de vocabulaire et de numération, les additions.

Un quart des exercices proposés correspond à un niveau intellectuel trop élevé pour l’âge des élèves. Les compétences, dans le meilleur des cas, sont en cours d’acquisition chez les meilleurs élèves. On peut donc, avant même de faire passer les exercices en question, deviner à l’avance que les élèves moyens ou faibles y échoueront. S’il s’agissait d’exercices de fin d’évaluation à proposer à ceux qui peuvent aller plus loin, après des exercices à la portée de l’ensemble de la classe, on comprendrait. Mais ce n’est pas du tout le cas : ce sont les seuls exercices permettant d’évaluer l’acquisition des compétences concernées ! Exemples : les exercices de lecture, une bonne partie de l’orthographe, du calcul mental, des techniques opératoires.

Déroutés, les élèves en difficultés, ou les élèves moyens, souffrent aussi de l’incapacité de ces évaluations à mesurer le degré de compréhension d’un concept. On ne cherche pas à savoir si les élèves comprennent quelque chose mais s’ils savent appliquer mécaniquement des consignes ou des techniques. Aucune référence à des exemples (en grammaire et en vocabulaire), aucun exercice d’observation des règles d’accord en orthographe grammaticale. Pas d’incitation à utiliser des outils de référence comme l’ordre alphabétique, les tables de conjugaison, les nombres (jusqu’à 20 et les dizaines exactes) écrits en lettres, les tables de multiplication, le calendrier … Pas de recours à la schématisation en technique opératoire, pourtant si utile pour les élèves pas encore mûrs pour l’abstraction !

Si l’on respecte scrupuleusement les consignes de passation, les élèves peuvent échouer à 6 exercices de mathématiques uniquement parce qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment la lecture des énoncés !

Pour un tiers des exercices, le codage binaire (1 ou 0) met en échec les élèves sans la moindre nuance. Les anciennes évaluations nationales, malgré leurs défauts, permettaient d’analyser avec finesse les différents degrés de réussite des élèves. C’est sans doute trop compliqué pour le ministère ! Le codage binaire permet de faire des économies et un tri plus radical !

Les évaluations nationales sont donc angoissantes et culpabilisantes pour les élèves, pour les parents d’élèves et pour les enseignants. Les évaluations nationales n’apportent rien aux enseignants, qui n’ont pas besoin de tels outils, délibérément élitistes, pour savoir où en sont leurs élèves. L’absence totale d’analyse fine des difficultés rencontrées rend ces évaluations inutiles. Les évaluations nationales sont là pour démontrer que les résultats de l’école ne sont pas bons. Si on voulait discréditer l’école, on ne s’y prendrait pas autrement. Dans cette optique, il serait donc, selon le ministère, urgent de « retravailler sérieusement, comme autrefois », sur la base des programmes de 2008 (inadaptés aux capacités réelles des élèves). De par leur caractère élitiste, les évaluations nationales méprisent les élèves en difficultés et les élèves porteurs d’un handicap. Elles méprisent l’ensemble des activités scolaires nécessaires à l’épanouissement des enfants, ne retenant que les apprentissages fondamentaux dans leur version la plus scolaire, voire scolastique. Les évaluations nationales renforcent les inégalités et les stigmatisations. Elles ont pour objectif de trier (très tôt) les élèves, entre ceux qui réussissent et ceux qui devront travailler plus (aide personnalisée en dehors de la classe, stages de remise à niveau pendant les vacances), alors que le ministère attaque les Réseaux d’Aide Spécialisée aux Elèves en Difficultés. qui interviennent pendant les heures de classe. Les rythmes de vie des élèves en difficultés sont ignorés.

Les évaluations nationales servent à ficher les élèves, les enfermant dans un déterminisme qui déshumanise l’éducation. Que ce soit directement dans Base Elèves ou dans des bases de données parallèles, le résultat est le même : la traçabilité des élèves. Aucune garantie ne peut être donnée sur l’absence de croisements de fichiers entre différentes administrations. Les efforts jusque là consentis pour tenir compte de l’élève dans toute sa personnalité, au moment de l’étude de son orientation, sont voués à disparaître, au profit d’une sélection numérique, déjà à l’œuvre dans des orientations universitaires. Le fichage et l’exploitation statistique des données collectées permettent des classements, pour l’instant limités à une publication des résultats par académies. Mais la porte est ouverte pour des publications de classement des écoles. L’inévitable climat de compétition qui en découlerait, climat très malsain dans un contexte de suppression de la carte scolaire, est absolument incompatible avec la sérénité nécessaire à l’éducation. La compétition entre élèves, entre enseignants, entre écoles n’a pas sa place dans l’Education Nationale. L’administration se sert des évaluations pour renforcer son pilotage des écoles. Une vision très hiérarchique (les progrès ne peuvent venir que d’en haut) et très technocratique. L’essentiel du dispositif d’aide aux élèves devrait, selon le ministère, se construire sur la base des résultats individuels aux évaluations nationales, qui, rappelons-le, n’apportent aucune observation fine des difficultés rencontrées. Mais les inspecteurs sont également censés recentrer le travail des enseignants sur les compétences insuffisamment acquises, à l’échelle des écoles ou des circonscriptions.

On peut sans risque déjà prévoir que les animations pédagogiques des années à venir porteront sur le renforcement des apprentissages des points des programmes de 2008 les plus inadaptés aux possibilités des élèves, apprentissages mécaniques et robotisés de techniques purement scolaires, inaccessibles à la plupart des élèves en dehors d’un contexte stimulant, comme celui des pratiques et des recherches soutenues par les mouvements pédagogiques. Le ministère n’a absolument pas tenu compte des très nombreuses doléances des enseignants, des syndicats, des mouvements pédagogiques, des chercheurs et même d’inspecteurs, après la mise en œuvre des délirantes évaluations de CM2. Il persiste et signe avec de toutes aussi catastrophiques évaluations de CE1.

Mettre délibérément en échec une forte proportion des élèves malgré les cris d’alarme des professionnels, cela ne relève-t-il pas de la faute professionnelle ?

Claude Didier.

P.S.
– Plusieurs organisations syndicales comme CGT et SUD appèlent au boycott de ces évaluations de CE1, devant se dérouler du 25 au 30 mai 2009 dans toute la France.
– Les 2 livrets sont téléchargeables (fichiers PDF): celui
de l’élève et de l’enseignant.
– Les évaluations nationales effectuées dans les classes de CE2 du 19 au 23 janvier avaient déjà donné lieu à un recueil d’informations
irrégulière, puisque les fichiers nominatifs relatifs à ces évaluations n’ont jamais été déclarés dans les temps à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

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