Collectif national de résistance à Base élèves…

contre tous les fichiers scolaires

Base élèves bientôt obligatoire dans les mairies ?

Posted by retraitbaseeleves sur 9 août 2009

Les dernières recommandations officielles du Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU sont très explicites : pas de données collectées sans encadrement par la loi (aucune n’existe pour Base Elèves, si ce n’est la Loi dite Prévention de la Délinquance…), des données anonymes, une information des familles et un droit d’effacement si les données sont collectées à leur insu, une information explicite sur la destination des données, et pas d’interconnexions… Résultat, si la France était un membre respectueux de son engagement envers la Convention, Base Elèves ne devrait plus exister en l’état, les données devraient être anonymes, des millions de données collectées à l’insu des parents devraient être effacées !

Pourtant, la mise en oeuvre de Base élèves se poursuit inexorablement sans aucun changement dans toutes les écoles de France, et les maires pourraient bientôt en devenir un acteur important. En effet, le traitement actuel de l’absentéisme et du décrochage scolaire par le gouvernement pourrait bientôt aboutir à imposer Base élèves aux maires, comme cela l’a déjà été fait aux directeurs d’école, aux équipes enseignantes et aux parents d’élèves. Si certains maires utilisent ce logiciel en toute innocence vu le côté  » gestion de l’outil  » qui est mis en avant, il faut qu’ils sachent qu’à terme, ils risquent, à leur insu, de devenir un des rouages de la politique sécuritaire et répressive qui se met en place actuellement…

(article à télécharger au format PDF)

En 2007, la mobilisation des enseignants, des parents d’élèves et des élus a permis d’obtenir du gouvernement qu’il renonce à imposer aux communes d’utiliser Base élèves comme logiciel d’inscription scolaire. De nombreuses communes peuvent donc décider de ne pas utiliser Base élèves, mais le pourront-elles encore longtemps ?

Le 10 février 2009, le Conseil National des Villes (CNV) mettait en avant une insuffisante collaboration entre les maires et l’éducation nationale dans le cadre des dernières dispositions législatives ou réglementaires. Ainsi, en évoquant les textes récents comme la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, le CNV constatait : « Si les dispositions traditionnelles relatives au contrôle de l’obligation scolaire paraissent être appliquées sans difficultés, les nouvelles mesures, qui semblent s’inscrire davantage dans le cadre de la lutte contre la délinquance que dans celui de mesures éducatives destinées à la prévenir, suscitent des réticences et rencontrent des difficultés ».

En effet, depuis le 15 février 2008, le décret d’application de la loi dite de prévention de la délinquance autorise les maires à créer un fichier leur permettant de repérer l’absentéisme des enfants d’âge scolaire. Comme pour Base élèves, le “droit d’opposition” prévu à l’article 38 de la loi informatique et libertés ne s’applique pas à ce fichage : les parents ne peuvent pas s’y opposer. Comme s’en est par ailleurs inquiétée la LDH-Toulon, ce décret ne donne pas satisfaction à la CNIL qui, dans son avis du 10 juillet 2007, avait attiré l’attention « sur la nécessité d’informer les personnes auprès desquelles sont collectées des données de ce que ces dernières peuvent être communiquées au maire à des fins de contrôle de l’obligation scolaire et de suivi de l’absentéisme », « sur la nécessité d’informer les personnes sur les transmissions d’informations les concernant », ainsi que « sur la nécessité de sécuriser la transmission des données (en cas d’utilisation de la voie électronique). »

Mais revenons-en au Conseil National des Villes. Dans son avis du 10 février 2009, le CNV constatait en particulier que le traitement automatisé de données à caractère personnel sur les enfants soumis à l’obligation scolaire – qui est donc censé permettre aux élus de recenser dans un fichier les enfants en âge scolaire domiciliés dans leur commune et de repérer leur éventuel absentéisme – ne semblait pas avoir été appliqué dans la plupart des villes dans lesquelles il avait procédé à son enquête. Le CNV constatait également que pour jouer pleinement un rôle éducatif à l’égard des jeunes « absentéistes » pouvant devenir des « jeunes décrocheurs », l’information dont devaient disposer les maires, de la part des services de la Police et de la Justice et de ceux de l’Education nationale, leur paraissait souvent insuffisante.

On ne peut que constater que depuis cet avis, sous couvert d’études statistiques sur le retard scolaire ou sous prétexte de repérer les élèves décrocheurs afin d’améliorer la connaissance du phénomène, le fichage et le partage de données concernant les élèves entre administrations ne cessent de se multiplier.

Ainsi, quelques jours seulement après l’avis du CNV, un arrêté publié au Journal officiel du 18 février 2009 créait à l’INSEE un « traitement visant à produire et diffuser des indicateurs statistiques locaux sur le retard scolaire des élèves résidant dans les quartiers de la politique de la Ville ». Comme le dénonce depuis la LDH-Toulon, il s’agit là ni plus ni moins que de tracer géographiquement et nominativement les collégiens des quartiers en difficulté dès le premier retard scolaire. L’arrêté prévoit en effet la géolocalisation dans des « carreaux de 100m de côté » des élèves de sixième figurant dans des fichiers que le ministère de l’Education nationale lui aura transmis – les informations pour chaque élève de sixième se limitant à l’adresse, un numéro d’ordre, ainsi que quelques autres données à caractère personnel. Le fichier d’adresse sera conservé par l’INSEE pendant 5 ans pour permettre une « capitalisation des opérations de géolocalisation ».

Mais, curieusement, alors que la déclaration à la CNIL ne concerne que des élèves de sixième, aucune référence à la classe des élèves n’apparaît dans le texte de l’arrêté, ce qui élargit donc considérablement le champ de ce traitement à toute la scolarité, primaire compris. Là encore, le droit d’opposition prévu à l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 ne s’applique pas au traitement. Enfin, par cet arrêté, l’école devient un lieu de détection privilégié puisque ce traitement permet de créer des fichiers discriminatoires à grande échelle au niveau des rectorats.

Fin avril 2009, la LDH-Toulon nous alertait également sur l’instruction n ° 09-060 JS du 22 avril 2009, qui adresse de nouvelles instructions aux préfets et aux recteurs d’académie sur la prévention du décrochage scolaire et l’accompagnement des élèves sortant sans qualification du système scolaire. Cette instruction, signée par les Ministres de l’Education nationale, de l’agriculture, de l’intérieur, de la justice, du travail, par les Secrétaires d’Etat à la politique de la ville, et à l’emploi, et par le Haut-commissaire à la Jeunesse, a pour objectif de réaliser avant la fin de l’année scolaire, « une interconnexion des différentes bases de gestion interne pour améliorer le repérage des élèves décrocheurs, ou sortant sans qualification du système scolaire ». Une telle interconnexion était probablement prévue de longue date. On se rappellera en effet le communiqué du Premier ministre François Fillon du 20 juin 2008 concernant la mise en oeuvre de mesures spécifiques et urgentes décidées en matière d’emploi, d’éducation-formation, de désenclavement des quartiers et de sécurité et de la mobilisation des politiques de tous les ministères sur 3 ans en faveur des quartiers défavorisés: « Le décrochage scolaire fera l’objet d’un repérage précoce et d’un suivi associant services de l’Education nationale et services sociaux ».

Enfin, dernier élément à ce jour, considérant que « la prévention de la délinquance a été beaucoup trop négligée ces dernières années », Nicolas Sarkozy a récemment annoncé « pour septembre [2009] un plan gouvernemental de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes ». Comme le constate encore une fois la LDH-Toulon, la lutte contre l’absentéisme et la “prévention” du décrochage scolaire en sont des éléments importants, l’Education nationale étant au coeur du dispositif.

Encore récemment, le professeur et directeur d’école Bastien Cazals déclarait à propos de Base élèves : « les informations conservées dans BE1D dépassent largement le cadre de la gestion administrative. Pour autant, la centralisation de tels renseignements dans un fichier national ne sert nullement la scolarité des enfants, n’est d’aucune utilité pratique au directeur, ni pédagogique à l’équipe enseignante. Pourquoi donc un tel fichage dès la maternelle ? Compte-tenu de l’explosion du nombre de fichiers centralisés – dont le croisement est pour l’instant encore impossible -, de la forte dérive sécuritaire et des expulsions massives d’enfants sans papiers, on ne peut qu’imaginer les motifs les plus nauséabonds… ». Et de rappeler : « (…) dès 2004, le rapport Bénisti préconise le dépistage précoce des  » comportements déviants  » entre un et trois ans. Non seulement ce document traite de la délinquance sans distinguer criminalité et incivilité, mais en plus, il l’assimile à pauvreté et immigration. Et ce ne sont pas les causes sociales, matérielles ou éducatives qui sont pointées du doigt mais bien la responsabilité des parents. En 2005, le rapport de l’INSERM préconise également le dépistage des « troubles de conduite » dès trois ans. (…) Considérer que la délinquance est programmée revient à nier l’acte même d’enseigner, ainsi qu’à nier le poids du contexte social. Pourtant quelques mois plus tard, ces préconisations sont reprises dans l’avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance. Heureusement, face à une très forte et très large opposition, cette approche déterministe, voire génétique est abandonnée. Mais elle attend son heure. »

Dans son avis du 10 février 2009, le Conseil National des Villes ne dit pas explicitement que les « jeunes absentéistes » peuvent devenir de «jeunes décrocheurs » qui eux-mêmes pourraient devenir de « jeunes délinquants », mais le lien est clairement sous-entendu.

La lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire servent déjà de prétexte pour justifier le partage de données nominatives entre l’Education nationale, la Police, la Justice et les services sociaux. A l’heure où la « responsabilisation des parents » est devenue l’une des idées en vogue du débat sur la délinquance des mineurs, l’utilisation de Base élèves dans les mairies pourrait donc trouver un écho favorable chez des parents inquiets du devenir de leurs enfants. Ainsi, le traitement actuel de l’absentéisme et du décrochage scolaire par le gouvernement pourrait bientôt aboutir à imposer Base élèves aux maires, comme cela l’a déjà été fait aux directeurs d’école, aux équipes enseignantes et aux parents d’élèves.

Le 19 juillet dernier, un directeur d’école nous envoyait le message suivant : « J’ai toujours refusé de prendre la clé OTP mais je viens de me rendre compte (par hasard en discutant avec la secrétaire de Mairie) que l’animateur informatique de ma circonscription était venu l’apporter à la Mairie avec, a priori, un minimum d’explications. Quand je lui ai demandé ce qu’il lui avait fait signer et si elle savait à quoi elle s’était engagée, elle n’a pas su me répondre. » Ainsi, alors même que les inspections académiques ont toujours démenti avec virulence tout partage de données du fichier Base élèves avec d’autres administrations, certains employés de mairies sont donc déjà mis à contribution « en toute innocence », pour ficher les enfants dans cette base de donnée soi-disant interne à l’Education Nationale.

N’est-il pas dangereux de mettre en place un fichage généralisé de la jeunesse qui conservera 35 ans des données nominatives, accessibles par internet – dont la sécurité reste illusoire – à de nombreuses personnes (dans sa déclaration de décembre 2004 à la Cnil, le MEN parle déjà de 400 gestionnaires / utilisateurs) jusqu’à la sortie du système de l’éducation et de la formation ?

Enregistrer des données nominatives personnelles dans des bases nationales de données destinées à être partagées entre diverses administrations, à être interconnectées les unes aux autres permettra-t-il de maintenir la confiance nécessaire entre les élèves, les parents, les enseignants et tous les acteurs sociaux travaillant à la lutte contre l’absentéisme, la prévention du décrochage scolaire et l’amélioration de la réussite éducative ?

La lutte contre l’absentéisme et le décrochage scolaire n’est qu’un alibi, alors même que l’efficacité des politiques répressive vis à vis des parents d’absentéistes est sérieusement mise en doute. Ainsi l’Angleterre, le pays le plus répressif en matière d’absentéisme continue à voir croître le nombre d’élèves qui font l’école buissonnière.

En France, la loi prévoit que tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande. L’instruction est obligatoire à partir de 6 ans. N’est-il pas du devoir de tous élus de s’engager au côté de ceux qui refusent Base élèves et de prendre des mesures concrètes pour empêcher toute utilisation de ce logiciel dans toutes les écoles et les mairies de France ?

François Nadiras, ancien président de la section de la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon, aujourd’hui animateur du site de la LDH-Toulon le proclamait encore récemment : « On ne fiche pas les enfants ! »

J. Castex pour le CNRBE.

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